Villa Arnaga, Cambo-les-Bains : le Versailles basque

Le 15 juillet 1902, Edmond Rostand acquérait sur la commune de Cambo-les-Bains (Pyrénées Atlantiques), le plateau d’Arraga. Le fameux auteur de Cyrano de Bergerac était arrivé à Cambo en 1900 pour soigner une pleurésie survenue après la première représentation de L’Aiglon. Il fut vite séduit par une région, le Pays basque, qu’il ne connaissait pas.

Trouvant le nom d’Arraga trop rauque, il décida de supprimer un « r » et de le remplacer par un « n » : Arnaga était né !

 

                  Perspective depuis le fond du jardin sous la pergola, cl. Ph. Cachau                   Le jardin depuis l'un des pavillons de la pergola, cl. Ph. Cachau

   

Il conçut l’endroit tel un commanditaire exigent et impatient de son temps, tour à tour Louis XIV, Mansart et Le Nostre. Il voulut là en effet des jardins à la française, mode brillamment remise à l’honneur par l’industriel Alfred Sommier, à Vaux-le-Vicomte à partir de 1875.

En cette période de la Belle Epoque, Louis XIV, Versailles et Trianon étaient plus que jamais à la mode comme en témoigne l’une des plus fameuses réalisation du temps : le Palais Rose de Boniface de Castellane, avenue Foch, à Paris, en 1896-1902. La vogue avait été lancée 50 ans plus tôt par Napoléon III et Eugénie avec leur domaine impérial de Biarritz (1854-1868). De Biarritz à Cambo, il n’y a qu’un pas !

 

                 La villa et ses parterres au-devant, cl. Ph. Cachau                   Perspective sur le jardin depuis le premier étage de la villa, Ph. Cachau              

 

L’engouement pour le Grand Siècle à cette époque se note aussi dans la série sur les Jardins de Versailles composée par Paul-César Helleu (1859-1927), peintre célèbre de la belle société du temps, en 1895-1897, conservée aujourd’hui au musée Bonnat-Helleu de Bayonne.

S’agissant du style de la villa, Rostand hésita. Il aurait bien souhaité une demeure XVIIIe comme l’affectionnaient beaucoup de ses contemporains mais elle aurait dénotée dans un si beau paysage et dans une région à l’identité si marquée. Il ne voulait surtout pas des villas fantaisistes du moment comme à Biarritz. Ce sera donc une maison basque, mais à sa façon : l’intérieur serait ainsi orné de superbes décors chatoyants, aussi baroques que s’ils avaient été composés par Charles Le Brun ! Le grand escalier, le salon chinois, la salle à manger et certaines chambres seront XVIIIe, d’autres Directoire tandis que le bureau de l’auteur sera de style Empire, tout cela dans le plus parfait éclectisme du temps.

 

                  Salle à manger XVIIIe, cl. Ph. Cachau                   Chambre de Rosemonde, épouse de l'auteur, cl. Ph. Cachau     

    

A partir de 1902, la villa et les jardins d’Arnaga ne cesseront d’occuper les pensées de Rostand. Comme Louis XIV, l’auteur en imagina les détails, jetant une foule d’idées sur le papier. Son père, Louis Rostand, lui fit concevoir qu’il serait plus sage de faire appel à un architecte. Ce devait être forcément, quand on s’appelle Rostand et que l’on est le point de mire du Tout-Paris, un architecte réputé. Ce sera donc Albert Tournaire (1862-1958), l'un des plus brillants architectes de la Belle Epoque et du XXe siècle, distingués à de nombreuses reprises, alors architecte du département de la Seine et inspecteur central des travaux d'architecture de Paris. Auteur de superbes immeubles haussmaniens dans la capitale, il étendra le Palais de Justice de Paris (Tribunal de Grande Instance) sur le quai des Orfèvres (1907-1914), projet engagé en 1904.

Comme le roi avec Le Vau ou Hardouin-Mansart, Edmond Rostand n’aura de cesse de faire modifier les projets de l’architecte. Le projet définitif sera finalisé en 1902, dont on peut en voir les plans, aujourd’hui, dans la villa, non sans modifications postérieures. Par le style basque de sa demeure, Rostand entendait cultiver le goût du pittoresque suivant en cela l’exemple fourni par le couple impérial avec les fabriques du domaine impérial de Biarritz, par exemple. Il avait donné là naissance à une mouvance qui ne devait plus s’arrêter : le néo-basque ! Sur son exemple, le style sera de mise dans la région jusqu’à nos jours.

 

                  La villa du côté du parc, cl. Ph. Cachau                   Bureau style Empire d'Edmond Rostand, cl. Ph. Cachau 

 

Quant aux jardins, il y avait aussi en Rostand du François Mansart (l’architecte était aussi jardinier, ndlr) ou du André Le Nostre. L’homme avait une imagination foisonnante. Il était animé chaque fois de nouvelles pensées. Il faisait faire, défaisait et refaisait faire aux ouvriers, comme Mansart au château de Maisons-Laffitte ou Louis XIV à Versailles, tel ou tel aspect des jardins. Suivant les instructions du roi à Le Nostre, il refusa de voir planter de petits arbres dans le parc autour du plateau. Il lui en fallait de grands : il les trouvera dans la propriété d’un prêtre voisin.  

Le parti des jardins étant plus abouti que celui de la villa, on commença donc par les premiers. Comme Napoléon III à son domaine de Biarritz, une foule d’ouvriers débarqueront pour leur aménagement, apportant la terre meuble et les matériaux nécessaires à la construction des fabriques que Rostand avait imaginées (pergola, orangerie, portique). Les jardins de Versailles et de Trianon inspirèrent particulièrement l’auteur : ce furent allées rectilignes, charmilles bien taillées, treillages, topiaires, vases en marbre au milieu de broderies, bassins avec jeux d’eau. Pour l’un d’eux, il fit reproduire un groupe d’enfants du Parterre Haut du Grand Trianon. Le pavillon de l'orangerie était inspiré, quant à lui, de la Grotte de Thétys (1664-1667).

 

                  Parterre de broderies et topiaires au pied de la villa. Orangerie au fond, à gauche, cl. Ph. Cachau                   Parterre avec bassin et vases, cl. Ph. Cachau

 

Ces superbes jardins ont été rétablis − comme ceux de Versailles et suivant les techniques versaillaises −, conformément au parti d’origine voulu par le commanditaire. Depuis 2014, on a rétabli ainsi treillages et topiaires, broderies et pelouses. On a restauré les bassins et disposé un nouvel éclairage (un plus discret serait souhaitable).

La propriété d’Arnaga ne cessera d’animer l’imagination de Rostand jusqu’à sa mort en 1918. Il procédera à de nouveaux aménagements dans la villa, ainsi qu’à l’amélioration continue des jardins. Arnaga est donc autant son chef-d’œuvre que ne le furent Cyrano, L’Aiglon ou Chanteclerc.

 

                  Bassin circulaire près de l'orangerie, cl. Ph. Cachau                   Groupe de putti d'après un modèle du Grand Trianon, cl. Ph. Cachau 

 

À lire : Paul Faure, Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostang, Biarritz, Atlantica, 2016.