Musée municipal de Libourne (Gironde) : la peinture au féminin (XVIe-XXe siècles)

Le musée municipal de Libourne présente une exceptionnelle collection de femmes peintres, du XVIe au XXe siècle.

Ce musée, encore situé dans les murs de la mairie, abrite en effet des œuvres de grande qualité dont une série de peintures de femmes qu’aucun grand musée français n’expose à ce point, dans toute sa diversité, de nos jours. Ce ne sont en effet pas moins de six toiles qui sont présentées, couvrant toutes les époques et tous les styles de la peinture (renaissance, baroque, classique, troubadour, impressionnisme, symbolisme…).

A l’heure où les femmes artistes réapparaissent peu à peu dans l’histoire de la peinture occidentale (colloque international au Louvre, les 31 mai et 1er juin 2018), il nous a semblé opportun de montrer ici des œuvres intéressantes, voire exceptionnelles, tant par l’artiste que par le style.

Si l’on évoque souvent les Vigée-Lebrun, Labille-Guiard au XVIIIe siècle, les Morisot, Cassat ou Rosa Bonheur au XIXe siècle, les Sonia Delaunay, Marie Laurencin, Niki de Saint-Phalle ou Maria Helena Vieira da Silva au XXe siècle, Libourne présente des artistes peu connues mais de grand mérite, à commencer par l’exceptionnelle artiste que fut Sofonisba Anguissola en son temps. Elle fut la première grande artiste femme de la peinture occidentale et trouva, de surcroit, le moyen de faire carrière dans la Très Catholique Espagne !

À découvrir durant vos week-ends ou congés à Bordeaux ou en Gironde.

 

Sofonisba Anguissola (attribué à ) (Crémone, vers 1535 – Gênes, 1625)

Portrait d’une dame de qualité

Huile sur bois, XVIe siècle, dépôt du musée de Créon en 2003.

 

                        Sofonisba Anguissola, Dame de qualité, XVIe siècle, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)

 

Sofonisba Anguisola fut active du milieu du XVIe au début du XVIIe siècle. Aînée de six filles, toutes peintres (Elena, Europa, Lucia, Anna Maria et Minerva), elle est assurément un cas unique dans la peinture européenne de la Renaissance, voire de la peinture tout court. Leur père Amilcare, noble génois, avait en effet encouragé ses filles à développer leurs compétences artistiques. Il précède en cela Orazio Gentilleschi et sa célèbre fille Artemisia.

Sofonisba est un cas d’autant plus surprenant qu’elle devint peintre officelle à la cour d’Espagne, celle de Philippe II, la plus austère qui fût, à une époque où cette distinction était inusitée et inenvisageable pour une femme. Spécialisée dans le portrait, elle donne ici celui d’une dame noble d’un raffinement exquis.

 

Eugénie Honorée Marguerite Servières (Paris, 1786 – Paris, 1832)

La reine Blanche, mère de Saint-Louis, délivrant les prisonniers

Huile sur toile, 1818-1819.

 

                         Eugénie Servières, La reine Blanche, mère de saint-Louis, délivrant les prisonniers, 1818-1819, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)

 

Elève du peintre Guillaume Lethière (1760-1832) à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, elle expose au Salon du Louvre de 1808 à 1824. Contrairement à ses consœurs qui demeuraient souvent dans des genres réputés alors mineurs (portraits, paysages, natures mortes), elle osa le grand genre avec des sujets historiques ou allégoriques.

Le tableau ici présenté fut exposé au Salon de 1819 et acquis par Decazes, ministre de l’intérieur de Louis XVIII, qui l’envoya au musée de Libourne la même année. Il s’inscrit dans la tradition de la peinture dite « troubadour » (fin XVIIIe - début XIXe), genre qui exploitait les sujets à caractère médiéval, d’où son nom.

 

Antoinette Cécile Hortense Haudebourg-Lescot (Paris, 1784 –Paris, 1845)

Les premiers pas de l’enfance       

Huile sur toile, signée et datée en bas à gauche « Hortense Lescot, 1818 ».

 

                          Antoinette Haudebourg-Lescot, Les premiers pas de l'enfance, 1818, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)            

 

Comme sa consœur qui suit, Antoinette Haudebourg-Lescot fut formée dans l’atelier de Guillaume Guillon, dit Lethière (1760-1832), lui-même élève du fameux Gabriel-François Doyen, maitre de la peinture d’histoire au XVIIIe siècle, fort apprécié de la famille impériale au point d’obtenir la direction de l’Académie de France à Rome en 1807. La jeune artiste l’accompagna à Rome, ce qui était inédit à cette époque.

Antoinette se passionna alors pour les scènes de la vie paysanne italienne, créant une nouvelle catégorie dans la peinture de genre, particulièrement pittoresque. Elle exposa ainsi huit scènes de la vie italienne au Salon du Louvre en 1810.

Elle revint à Paris en 1816 et épousa en 1820 l’architecte Haudebourg. Ce mariage ne l’empêcha pas, contrairement à d’autres femmes artistes, de poursuivre sa carrière : elle exposera en effet au Salon jusqu’en 1845.

Dans ce tableau charmant qui présente les 3 âges de la vie, les personnages sont revêtues de leur costume traditionnel.

 

Marie-Paule Carpentier (Paris, 1876 – Saint-Cloud, 1916)

La Source

Huile sur toile, 1910, signée en bas à gauche.

 

                     Marie-Paule Carpentier, La Source, 1910, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)

 

Elève de sa sœur Madeleine, puis de Luc-Olivier Merson (1846-1920) et du peintre-illustrateur Raphaël Collin (1850-1916), elle fut initiée au symbolisme par ce dernier. Excellente aquarelliste, elle se serait aussi formée auprès de Pierre Vignal (Le Bouscat, 1855 – Paris, 1925). Les catalogues d’exposition montrent une artiste essentiellement portée sur l’aquarelle, ce qui rend ses peintures à l'huile d’autant plus exceptionnelles comme celle présentée ici.

La toile figure une femme allongée sur le sable, tenant une coquille, version moderne de la célèbre sculpture d'Antoine Coysevox dans le parc de Versailles, La nymphe à la coquille, elle-même inspirée d’une œuvre antique. Elle évoque également, dans sa présentation, au féminin cette fois, la non moins célèbre toile d’Hyppolyte Flandrin : Jeune homme assis au bord de la mer (1836, Louvre). Ses formes sculpturales et ses cheveux courts en sont visiblement inspirés. On sait que l’artiste a beaucoup fréquenté le bord de mer, le bassin d’Arcachon et la côte de Saint-Cast en Bretagne. Le paysage à l’arrière-plan évoque plutôt le sud-ouest.

L’œuvre s’inscrit dans le mouvement symboliste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, celui des peintres Edgar Maxence ou Victor Prouvé. La coquille, où surgit de l’eau et qui donne son nom à la toile, figure également la virginité, l’amour et la beauté.

 

Jeanne-Louise Brieux (Libourne, 1881 – Libourne, 1948)

Le goûter au soleil

Huile sur toile, vers 1920, acquise en 1923.

 

                           Jeanne-Louise Brieux, Le goûter au soleil, vers 1920, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)

 

Peintre autodidacte, originaire du Libournais, elle a exposé dans différents salons locaux quoiqu’elle ne soit pas répertoriée dans les expositions de la Société des Arts de Bordeaux. Une lacune qui sera à réparer désormais.

http://www.ville-libourne.fr/mes-loisirs/le-musee/le-musee-des-beaux-arts/audiodescriptions/583-le-gouter-au-soleil.html

                                                                              

Mathilde Arbey (Paris, 1890 – Paris, 1966)

Fin de journée. Autoportrait dans l’atelier

Huile sur toile, 1928, acquise en 2011 avec l’aide du FRAM.

 

                           Mathilde Arbey, Fin de journée - Autoportrait dans l'atelier, 1928, Libourne, Musée municipal (cl. Ph. Cachau)

 

L’originalité de l'artiste est d’avoir été la première femme peintre à poser son chevalet au Maroc et, plus particulièrement, dans la superbe Marrakech. Elle figure ainsi parmi les artistes orientalistes de la première moitié du XXe siècle, issus de l’école de Delacroix. Elle exploitera également le portrait, la nature morte et le paysage, son genre favori.

Mathilde Arbey arriva dans la cité marocaine en 1929 et y demeura une dizaine d’années. Dès 1930, soit un an après son arrivée à peine, elle obtint la médaille d’or des artistes français, ce qui atteste que les autorités françaises du temps savaient reconnaitre parfois le talent des femmes. Il est vrai que l’époque était riche de femmes artistes : Suzanne Valadon,  Louise Abéma, Madeleine Lemaire, Sonia Delaunay, Tamara de Lempicka,  Frida Kahlo, Virginie Demont-Breton, Marie Laurencin, Jeanne Rongier, Elise Rieux, etc.  

Formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris par les maîtres du temps qu’étaient Jean-Paul Laurens, Fernand Humbert, sociétaire de la Société des Artistes français, et Fernand Sabatté, elle fut une artiste reconnue en son temps. Elle exposa ainsi dans de nombreux salons réputés : Salon des Artistes Français à partir de 1913, Salon d’Automne, Salon des Tuileries, Salon des Femmes peintres et sculpteurs et, surtout, au premier Salon de la France d’Outre-Mer en 1935. Elle obtiendra la médaille d’argent à l’Exposition universelle de Paris en 1937.

Le tableau de Libourne présente l’autoportrait de l’artiste dans un style oscillant entre symbolisme et nabis, encore très en vogue au début du XXe siècle. Il lui valut le prix "Claudio Castelucho y Diana" en 1928, du nom d’un célèbre artiste catalan du moment.