Il est intéressant d’observer comment l’esthétique brique et pierre développée par Louis XIV à Versailles − château et ville − devait se renouveler deux siècles plus tard avec Napoléon III à Biarritz. Il est aussi intéressant d'observer comment l'évolution du goût au XXe siècle parvint à dénaturer l'image d'une ville au point de faire totalement oublier ce qu'elle fut à l'origine.
Lorsque l’empereur arriva sur la Côte basque à l’été 1854, Biarritz, comme Versailles, n’était qu’un simple village. Victor Hugo le décrivait en 1843 comme un "village tout blanc à toits roux et contrevents verts posés sur des croupes de gazons et de bruyères dont il suit les ondulations (…)".
L’année précédente, Napoléon III avait repris à son compte le projet de restauration du château de Versailles par son oncle, Napoléon Ier, projet qu’il plaça sous la direction de l’architecte, Charles-Auguste Questel, qui poursuivra la restauration jusqu’au début de la IIIe République1. Napoléon III avait décidé de consacrer l’ancien palais à l’accueil des hôtes de marque de la France, décision symbolisée, dès août 1855, par la somptueuse réception en l’honneur de la reine Victoria. Le mois précédent, le couple impérial avait eu l’occasion de découvrir sa nouvelle résidence de Biarritz, la Villa Eugénie, dont la construction avait débuté à l’automne 1854.
Pour cette nouvelle résidence, Napoléon III prit pour modèle le séduisant château brique et pierre de Louis XIII, revu et augmenté par Louis XIV dans les années 1660. La séduction de ce premier Versailles s’était toujours exercée sur les souverains au point que cette partie du château ne put jamais être sacrifiée aux vastes projets de reconstruction du côté de la cour comme l’a rappelé une exposition dernièrement2. La séduction fut de nouveau de mise pour Napoléon III sous l’effet de la réhabilitation des XVIIe-XVIIIe siècles par les frères Goncourt, notamment.
Contrairement à Louis XIV qui avait établi des prescriptions strictes aux particuliers pour les constructions de la nouvelle cité royale en termes de hauteur et d’esthétique brique et pierre, Napoléon III, en tenant de la libre entreprise, laissa chacun maître de sa construction. Le Parisien Charles-Fabien Candas, entrepreneur de la Villa Eugénie, édifia ainsi, à proximité de la future chapelle impériale, sa villa néo-renaissance. Il y employa la brique et la pierre pour se conformer à l’esthétique développée par l’empereur dans un certain nombre de constructions de son domaine et de sa cité nouvelle de Biarritz, reprise ensuite par divers particuliers : écuries et pavillons d’entrée du domaine impérial (1855-1857), Bains Napoléon sur la plage de l’Impératrice (Grande Plage, 1857-1859), à l’emplacement de l’actuel casino, Casino Bellevue (1857-1858), Grand Hôtel (1860-1861), Villa Grammont (1866)3.
L’Hôtel d’Angleterre (1870-1872), près du Casino Bellevue, sera érigé en fausse brique et bossages de pierre, avec combles brisés à la Mansart et grandes cheminées en brique. D’autres bâtiments suivront : Hôtel Métropole, rue Gambetta, gare du Biarritz-Anglet-Bayonne (B.A.B) … On demeure stupéfait de voir comment ces bâtiments passèrent du rouge aux teintes claires au cours du XXe siècle et comment on dénatura leur couverture afin d’éliminer ce caractère néo-Louis XIII, très XIXe, que l’on détestait alors car jugé obsolète. Ce changement d'esthétique est patent sur le pavillon au bout de la nouvelle aile de l'Hôtel d'Angleterre : une partie de la façade a été blanchie quand le reste est demeuré en brique ou fausse brique rouge.
Ce style brique, fausse brique et pierre, connu depuis les Romains, avait été adopté par Louis XII pour le château de Blois (aile d'entrée, 1498-1503), puis par François Ier pour celui de Saint-Germain-en-Laye en 1539. Le prétendu « style Louis XIII » − « Louis XIV » au XIXe siècle – était né en réalité au début du XVIe siècle, soit un siècle plus tôt !
L’empereur et l’impératrice, initiant les modes et demeurant des modèles à suivre en matière de goût, nombreux furent ceux de la haute société et de la bourgeoisie qui adoptèrent le style brique et pierre pour leur hôtel ou leur villa à Biarritz. À défaut de brique, on recourut souvent − comme à Versailles − à la fausse brique en façade. Ce style devait perdurer jusqu’au début du XXe siècle comme en témoigne l'Hôtel Carlton évoqué plus bas. La brique et la pierre étaient alors souvent réduites à certaines parties du bâti : angles de maison, avant-corps, souches de cheminées … Le style fut adopté par la municipalité de Biarritz lors de l’édification des halles centrales en 1883-1885. La brique fut parfois remplacée par des parements de pierre de Bidache à compter des années 1880 (Hôtel Victoria et le Country Club voisin, par exemple) afin de se démarquer de l'esthétique impériale.
Le style brique et pierre fut conservé dans les nouvelles extensions de l’Hôtel du Palais en 1893-1894 et 1904-1905, hôtel de la haute société et du gotha établi dans l’ancienne demeure impériale. La brique des façades est clairement visible sur un cliché des années 1900 montrant le roi Edouard VII sortant de sa suite au rez-de-chaussée. Hélas, depuis les années 1960, la tradition de la brique en façade, qui s’était maintenue jusque là, fut soudainement revêtue d’un crépi rouge plutôt inesthétique, trahissant l’ancienne identité de l’hôtel. Lors de nos recherches en 2016 à l’occasion de l’ouvrage sur l’établissement, nous recommandâmes à l’architecte en charge de sa réfection, de rétablir la brique apparente en façade, visible sous le crépi. Les travaux de ravalement dernièrement réalisés (2018-2020) montrent que les mauvaises habitudes ont décidément la vie dure4 …
Cette pratique s’est malheureusement étendue aux autres façades de Biarritz comme le montrent les clichés présentés. Un cliché de pavillon d’entrée sur l’avenue de l’Impératrice atteste combien cette pratique est malvenue : on y voit une façade en brique d’un côté et une autre en crépi monotone au lieu de la fausse brique d’origine. Il en va de même pour une maison fin XIXe de la rue du Helder dont la partie en brique apparait clairement en partie haute. Revêtue de fausses briques, elle aurait assurément une autre allure et serait plus conforme à l'esthétique de son temps (fin XIXe).
On ne peut que féliciter sur ce point la copropriété de l’ancien Hôtel Continental (1883), face à celui du Palais : elle sut renouer, en partie tout du moins, avec l’esthétique originelle de Biarritz en remettant la fausse brique en façade5. Ce que ne fit pas sa voisine de l’ancien Hôtel Carlton (1908-1910) alors que d’anciens clichés attestent la présence de la brique ou de la fausse brique.
Aussi les services techniques de Biarritz pourraient-ils se rapprocher de leurs confrères versaillais qui ont acquis en la matière une belle expérience depuis 30 ans afin de rétablir, comme eux, l’esthétique originelle de la ville ?
Les anciens Versaillais se souviennent sans doute des tâtonnements des années 1970-1980. Au tournant des deux décennies, quelques immeubles du quartier historique Saint-Louis (rues Royale, de l’Orangerie, Edouard Lefèbvre) avaient été revêtus d’un affreux crépi ocre rouge ou rose uniforme qui scandalisa les habitants du quartier. La pratique avait été imposée par la municipalité sur les conseils de l’architecte des Bâtiments de France du moment au motif que Versailles était ainsi aux XVIIe-XVIIIe siècles. Il n’en était rien et le développement des techniques de sondage en façade dans les années 1980 et 1990 permit de redécouvrir progressivement l’aspect d’origine comme d’analyser les matériaux employés dans le revêtement en fausse brique. La cité royale se défit ainsi peu à peu des monotones façades blanches du XXe siècle au profit des façades en brique ou fausse brique que l’on voit depuis la fin du siècle.
Soucieux de se rapprocher de la nouvelle esthétique développée par Napoléon III, divers propriétaires remplacèrent à Biarritz la chaux blanche des façades de l’ancien village par un crépi rose (et non rouge). On l’observe sur le Pavillon Carré de l’avenue de la Reine Nathalie, autrefois sur la place du Casino Bellevue, et sur d’autres pavillons biarrots. Ces pavillons qui évoquent, tant dans leur forme que dans leur couverture, la formule développée par Louis XIV à Versailles … Tout se tient donc entre Versailles et Biarritz, d’une manière ou d’une autre6.
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1. Thèse en cours à l'Université Toulouse - Le Mirail par Olivier Liardet sous la direction de Luce Barlangue.
2. http://www.chateauversailles.fr/actualites/expositions/exposition-projets-architecture
3.Le domaine impérial de Biarritz ou l'étonnant parallèle avec Trianon, Versailles et Biarritz (domaines et villes), publications à paraitre.
4.Ces coûteuses oéprations de ravalement, rapidement dégradées par les embruns, pourraient être évitées si on laissait la brique apparente.
5.On regrettera que l’effort n’ait pas été étendu aux façades arrière de l’hôtel, du côté de la rue des Cent-Gardes. Ceci atteste que ces façades en brique ou fausse brique ont été progressivement abandonnées tant pour des raisons de coût que de facilité de traitement. L’esthétique de Biarritz gagnerait pourtant beaucoup à ce que l’on y revienne comme l’atteste celle de Versailles (voir plus bas).
6.Les liens entre les deux cités sont d’autant plus d’actualité en cette année 2019 que le Malandain Ballet Biarritz a lancé un nouveau spectacle, Marie-Antoinette, coproduit par Château de Versailles Spectacle. Les premières mondiales furent données à l’Opéra royal, les 29, 30 et 31 mars 2019. https://www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/malandain-ballet-biarritz-marie-antoinette.